En complément de cet article, vous pouvez écouter le replay de l'émission consacrée à ce sujet sur RTL avec Cécilia Commo en invitée - REPLAY RTL
Parmi les diverses nouveautés que les couples modernes expérimentent, le désir est certainement celle qui pèse le plus lourdement sur leur avenir. En effet, le désir se situe désormais au centre de leur épanouissement. Ni plus ni moins. Ce n’est plus l’absence de sexualité qui pose problème, c’est l’absence de désir.
Les demandes qui sont évoquées en sexothérapie sont à ce titre très éclairantes. Ce n’est plus « On ne fait plus l’amour et ça me fait souffrir » c’est « Il ou elle ne me désire plus et ça me fait souffrir ». Et cette souffrance est légitime car le désir de l’autre est un stimulant ultra énergisant. Être désiré nous rend beaux, forts, confiants. À l’inverse, ne pas être désiré, nous rend misérables, petits, insignifiants.
C’est pourquoi en réalité ce n’est pas l’absence de sexualité qui déclenche une séparation mais l’absence de désir.
Le problème avec la disparition du désir, c’est qu’il n’existe pas de boîte à outils.
Lorsqu'il s'agit du désir sexuel, on se refugie derrière nos différences, et on avance que l'homme a besoin de ses yeux pour désirer tandis que la femme a besoin de son psychisme (ce qui est en partie vrai). Il suffirait que la femme soit coquette et que l'homme soit attentif. C'est évidemment un peu plus complexe que ça. C'est faire l'impasse sur le principal moteur du désir sexuel : le désir érotique.
Or le désir érotique est le produit de ce que nous sommes. Il n'existe pas de modèle standard. Avoir une bonne communication ou être complices ne garantit pas (hélas !) un retour de la libido. Les gourous de la communication bienveillante n'échappent pas aux divorces, aux histoires extra-conjugales ou aux absences de désir... (la femme du co-fondateur de la Programmation Neuro-Linguistique dite PNL - Richard Bandler - thérapie vantant les mérites de la communication non violente, demandera le divorce après deux ans de mariage). Il n’existe en définitive que des réflexions à envisager autour de notre modèle conjugal et concernant ce que l’autre représente à nos yeux.
Être apprécié et, par déclinaison, être désiré est un besoin narcissique fondamental et fondateur. Et ça commence dès notre conception : qui échappe à la question de savoir si oui ou non, ses parents le désirait ?
C’est une question que l’on va se poser encore et encore durant l’enfance (et pour certains durant toute la vie) dès lors que l’on se sent moins apprécié, moins entendu, moins regardé par nos parents. Il n’est pas étonnant que cette question se déporte ensuite sur les personnes que nous serons amenés à rencontrer.
Devenus adultes, le désir dont nous allons avoir besoin, c’est un désir d’une autre nature, mais qui au fond signifie toujours la même chose : « Je te veux ». Nous avons besoin (toujours et encore) d’être souhaités, désirés.
Le désir (érotique) d’autrui, nous indique que nous sommes uniques, singuliers et suffisamment intéressants pour susciter l’envie de nous conquérir, d’être à nos côtés. L’autre nous a choisi, nous, parmi une multitudes d’autres possibilités (d’où notre sentiment de singularité) et il accepte d’être choisi en retour (d’où notre sentiment de puissance).
Mais si le désir de l’autre me rend désirable parce qu’il me singularise, dès lors qu’il se met à ressembler à un besoin et non plus une envie, sa charge érotique disparaît. On veut entendre « J’ai envie de toi parce que tu es irrésistible » et pas « J’ai besoin de toi pour aller bien. »
Ce désir (érotique) psychique, qui donnera naissance à une excitation corporelle lui permettant de s’exprimer, n’est finalement que l’aboutissement du regard que je porte sur l’autre. Or ce regard est une création. Ma création. Je regarde l’autre à travers mes fantasmes et ce que j’attends qu’il soit. Je ne peux pas le regarder comme ce qu’il est. D’ailleurs, je ne sais pas qui il est en dehors de mon regard, puisque par nature je regarde le monde et les autres au travers de ma propre subjectivité. Je n’ai aucun moyen d’y échapper.
Dès lors que mon regard change, il est presque naturel que mon désir change. Il sera plus puissant ou moins intense selon que cet autre me fascine, me déçoit ou m’ennuie.
Lorsque le désir s’essouffle, le poursuivre en tant que tel, comme une excitation, est une quête qui se révèle vite déprimante (« Je ne comprends pas, on s’aime, on a tout pour être heureux et je n’arrive plus à le/la désirer »). Pour sortir de ce paradoxe émotionnel, on en tire la conclusion que le désir ne résiste pas au temps, que c’est ainsi. Triste sûrement mais inéluctable. Car qui blâmer d’autre que l’habituation, le temps qui passe, et autres coupables insaisissables pour expliquer cet « éroticogramme » plat ?
L'étude parue en 2011 dans le Journal of Sex & Marital Therapy (1) nous précise un peu les choses. Hommes et femmes ne sont pas égaux (est-ce une surprise ?) face au désir et sa permanence. Sur 170 personnes, hommes et femmes âgés de 18 à 25 ans, on constate que le désir sexuel est significativement plus impacté chez les femmes par la durée de la relation que ches les hommes. On parle ici du désir spontané (celui que hommes et femmes vivent quasiment de la même façon lors du début d'une relation). Le désir spontané chez les femmes a tendance à se transformer en désir que j'appelle "créatif" (car il nécessite une action créative) au cours de la relation. Quand cette transformation s'effectue sans encombre, on dira que le désir sexuel est présent. Quand en revanche il bute sur différents obstacles, il peine à exister et ne peut pas prendre le relai d'un désir spontané qui s'essoufle. C'est à ce stade que l'on consulte un sexothérapeute.
Les obstacles les plus connus sont : l'insatisfaction relationnelle et l'insatisfaction sexuelle. Mais il serait faux de dire que le désir sexuel masculin n'est en rien impacté lui aussi par l'insatisfaction relationnelle et sexuelle. Disons qu'il est moins sensible à ces facteurs que ne l'est le désir féminin.
C'est donc de désir créatif qu'il est souvent question. Le seul qui soit capable de raviver la sexualité d'un couple de longue durée, de manière durable.
Si on l’envisage comme le prolongement du regard que l’on porte sur autrui, alors on peut interroger non pas directement le désir que l’on a pour l’autre mais le regard que l’on porte sur lui, la façon dont il nous apparait.
Car mon hypothèse est qu’investiguer le désir revient à investiguer le regard que l’on porte sur l’autre.
Bien souvent, en s’aperçoit qu’en comparant les regards portés entre le début d’une histoire (ou au moment où le désir érotique est apparu) et son milieu, l’autre nous apparait différent.
Et si on interroge le désir au travers de ce regard, la réponse va immanquablement tomber : « oui, cet autre m’attire » ou « non, cet autre ne me séduit pas. »
Soit qu’il m’apparait comme quelqu’un de trop familier, trop confortable, trop radin, trop égoïste, trop jaloux, trop possessif, trop indécis, trop fusionnel, trop inconsistant, trop gentil, trop prévisible, trop sécurisant, trop acquis, trop conventionnel, trop ordinaire, trop pulsionnel, trop colérique, trop silencieux, trop boudeur, trop sûr de lui, trop introverti, trop séducteur, trop immature, etc…
Soit qu’il m’apparait, à l’inverse, n’être « pas suffisamment ». Pas suffisamment protecteur, pas suffisamment impliqué, pas suffisamment séduisant, pas suffisamment tempéré, pas suffisamment drôle, pas suffisamment sensuel, pas suffisamment proactif, pas suffisamment bienveillant, pas suffisamment respectueux, pas suffisamment sûr de lui, pas suffisamment à l’écoute, pas suffisamment empathique, etc…
En rencontrant un autre que nous, nous espérons secrètement qu’il nous complète. Qu’il mette au service du couple ce qui nous manque, qu’il vienne combler nos failles et réponde à nos besoins (de sécurité, de protection, d’extraordinaire, de singularité, de bienveillance, de hardiesse, etc…). Notre désir pour lui (ou elle) se déploie proportionnellement à ce que cet autre renvoie de nous. Nous voilà apprécié, désiré, digne d’intérêt, nous voilà irrésistible et puissamment ancré dans la vie. Se sentir vivant et fort, n’est-ce pas là la merveilleuse promesse que nous fait le désir ?
Mais comment désirer ce que nous ne regardons plus ? Ce qui ne suscite plus en nous l’étonnement ?
Une fois effacé, il se peut que le désir ne revienne jamais.
Soit que l’autre ne soit en définitive pas celui que l’on voulait qu’il soit, soit que nos certitudes se trouvent figées. La fixité de nos croyances sur l’autre (« Il est comme ceci ou comme cela ») ne nous laisse pas d’autres choix que de vivre dans un univers prévisible où l’inertie de nos exaltations paralyse notre désir. Les escapades extra-couples ont souvent vocation à secouer cette indolence émotionnelle, que certains résument stoïquement par «J'étais devenu(e) vide».
Les rancœurs ou les blessures nous empêchent également de désirer. Comment désirer quelqu’un que l’on regarde avec mépris, que l’on juge incapables de nous satisfaire ?
On peut donc émettre l’idée que pour réanimer le désir dans le couple, à supposer qu’il existait préalablement, il faille « manipuler » la subjectivité de notre regard en interrogeant nos certitudes : cet autre est-il aussi prévisible que je l’imagine ? Cet autre est-il aussi conquis que je l’imagine ? Cet autre est-il vraiment celui que j’imagine ?
Car dans la limite de ce qui est tolérable à supporter (et c’est selon chacun), une réponse négative à ces trois questions remet sur le devant de la scène conjugale l’incertitude, la jalousie, la peur de perdre l’autre, l’énigme d’un autre que moi, autrement dit, de puissants aphrodisiaques érotiques. Vouloir être choisi(e) encore et encore car rien n’est inébranlable, car l’autre dans son individualité pourrait nous échapper, nous permet de raviver le désir plus souvent.
Dans la longue liste de réflexions autour du désir, on constate que la cohésion de la cellule familiale (parents et enfants) dépend désormais très souvent de la satisfaction conjugale. Et par satisfaction, il s’agit bien souvent d’une vie érotico-sexuelle épanouissante. Or, ce bien-être conjugal ploie sous les exigences inhérentes à cette cellule familiale. Tel est le paradoxe que nombre de personnes cherchent à résoudre : le couple désire la création d’une cellule familiale qui une fois fondée le comprimera au risque de se démanteler...
En observant les choses plus en détail, on se rend compte que bien souvent le désir n’a pas disparu, il a simplement muté. Le voilà dépouillé de sa forme érotique, dirigé désormais vers les enfants. Les mères puisqu’il s’agit souvent d’elles, désirent fortement être à la hauteur quand elles ne désirent pas tout simplement être parfaites. Et pour être digne de ce désir, elles vont tout simplement assécher leur territoire érotique pour remplir leur territoire affectif. Elles ont envie de bisous, de caresses, de tendresse, de douceur et beaucoup moins (ou plus du tout) d’agressivité érotique, de frénésie ou d’impétuosité. La co-existence de ces deux territoires (érotiques et affectif) semblent pour certaines totalement incongru. Mais le tiers laissé de côté (un homme dans les couples hétérosexuels) ne s’y retrouve pas vraiment dans cet univers doucereux où seule la tendresse affective a le droit de cité. Où est donc passé ce couple, cette femme et cet homme, qui par leur ardeur et leur exaltation ont donné naissance à cette famille où les baisers affectueux ont détrôné les baisers amoureux ?
Encore une fois, c’est un regard qui change. L’autre n’est plus regardé comme un être érotique et à séduire mais comme un père et une mère dédié(e) à une tâche surpassant toutes les autres : prendre soin de sa couvée.
Comme la chimie l’enseigne, rien ne se crée et rien se se perd.
Tout se transforme, le désir aussi. Dès lors que nous ressentons du désir pour quelqu’un, c’est que nous sommes prêts à désirer. Tout comme lorsque nous ne le désirons plus, le désir en soi n’a pas disparu : il s’est transformé. Il apparait désormais sous la forme de l’affection ou sous la forme de la déception. Il se dirige vers d’autres cibles : enfants, travail, projets, amant(e)s, etc.
Capable de se transformer, et au risque de contrarier les adeptes de la spontanéité, en réalité le désir se cultive.
Nombreux sont ceux qui l’envisagent comme une pulsion qui existe par elle-même et par elle seule. Ils oublient que le désir se cultive et se préserve. Il ne peut survivre s’il se retrouve englué dans l’amabilité, l’évitement du conflit, la familiarité, la malveillance, l’acquis.
C’est se souvenir que cet autre a choisi à un instant T de partager notre quotidien. Il pourrait tout à fait faire un autre choix, un nouveau choix. Rien n’est encore écrit. L’histoire du couple s’écrit tous les jours, et si ce sont les mêmes lignes, les mêmes pages qui s’écrivent et se ressemblent presque mot pour mot, sans que n’apparaisse aucune nouveauté vivifiante et audacieuse, le confort soporifique aura raison du désir érotique. C’est en s’écartant du confort rassurant de l'attachement et de la prévisibilité, par l’introduction d’expériences nouvelles (individuelle ou à deux), qui à leur tour inspireront une nouvelle forme de relation, une nouvelle énergie entre deux individualités, que le désir peut renaître.
Lorsque le regard que l’on porte sur l’autre est très modifié (voire dégradé), il y a fort à parier que les conditions érotiques nécessaires à l’émergence du désir ne sont plus (ou pas ou peu) présentes :
- La séduction, l’envie de conquérir, la bienveillance, le temps accordé à l’autre n’existent plus.
- L’espace qui faisait de nous des êtres séparés, car souvent inconnus au début de la relation, a tendance à se rétrécir au nom de la sécurité, de l’amour et bien sûr de l'attachement. Quand on s’aime, on se veut proche et transparent. On ne laisse aucune place à l’inconnu (que l’on redoute) et à l’incertitude, trop anxiogènes. Il apparait que les conditions nécessaires à l’amour sont souvent contradictoires avec celles nécessaires au désir. Et quitte à choisir, on se débarrassera beaucoup plus facilement de l’incertitude que de la sécurité. Au risque de supprimer ce qui, précisément, avait enflammé notre désir.
- La vitalité que nous apportait le monde extérieur, nos amis, nos espoirs, nos préférences, nos hobbies (et qui faisaient de nous un être à découvrir) s’épuise, faute de se ressourcer. C'est le sens que nous donnons à notre vie qui nous énergise. Sans cet élan vital, nous sommes plus susceptibles de déprimer, râler, négativiser les évènements autour de nous, ce qui est loin d'être séduisant à partager.
- La retenue a disparu car la familiarité s’est installée. Cette dernière est un véritable extincteur de désir puisque le désir se nourrit de séduction, posture que la familiarité supprime. Que ce soit par la façon dont on s’exprime, la façon dont on se comporte, la familiarité ne s’embarrasse pas d’attitudes de retenue. Or dans la retenue, dans le fait de pas tout révéler de soi, le désir fait son nid.
- Se surprendre. Ce que l’autre avait de plus séduisant, c’était sa capacité à nous surprendre. Ne le connaissant pas, tout était plus ou moins surprenant. Il suffisait qu’il/elle aime la même chose que nous, et nous étions surpris ! Par la suite, surprendre l’autre devient plus complexe (surtout chez les couples fusionnels ou transparents). Nous avons tendance à penser qu’être surpris peut être insécurisant : les constructions supportent mal les sols instables. L’amour n’est pas très friand de surprises mais le désir adore ça. Quand on fait quelque chose ou que l’on dit quelque chose de surprenant (de non prévisible) on prend le risque de déplaire. Mais c’est exactement dans cette prise de risque que peu renaître le désir.
- Se manquer pour mieux se retrouver. Lorsque l’autre est loin de moi, qui sait ce qui peut arriver ? Pour maîtriser cette inquiétude, beaucoup de couples usent et abusent de sms quotidiens qui les maintiennent perpétuellement en contact, constamment proches. Si au début, ces sms créaient un lien par la suite, ils l’alourdissent. D’ailleurs les messages eux-mêmes sont souvent bien différents ; ils ne servent plus qu’à renforcer la sécurité du lien pas à le rendre irrésistiblement excitant.
- Se regarder comme singuliers. Pouvoir intégrer que « Il ou elle existe en dehors de moi, peut-être même que je ne lui suis pas du tout indispensable » reste un puissant aphrodisiaque. Rien n’est plus désirable que quelqu’un qui existe en dehors de nous, quelqu’un que l’on ne possèdera jamais car il n’est pas possible de l’acquérir, quelqu’un qui reste à conquérir et nous oblige à sans cesse le séduire. Tel est le prix du désir sans cesse renouvelé. S'attacher, oui mais pas trop... Permettre au désir de circuler, c'est lui permettre de craindre la perte de l'autre. L'énigme de l'autre ne doit pas disparaitre, cette "question [...] que se posent tous les amoureux et en laquelle se condense le mystère érotique : qui es-tu ?" comme le soulève le poète Octavio Paz (2), doit rester (autant que faire ce peut) sans réponse.
La « tragédie » du désir, c’est que sa transformation bien souvent nous échappe puisque nous l'envisageons comme une émotion binaire qui apparait puis disparait à sa guise et face à laquelle nous sommes impuissants.
C’est également ce qui le rend si fascinant et si convoité…
(1) "Sexual Desire and Relationship Duration in Yong Men and Women", Sarah H. Murray & Robin R. Milhausen, Journal of Sex & Marital Therapy, Volume 38, 2012.
(2) Octavio Paz, La flamme double, Ed. Gallimard.
[ Post-Scriptum : Si vous souhaitez utiliser une partie ou l’ensemble de cet article, vous me voyez flattée de votre intérêt.
En revanche, je compte sur votre élégance et votre honnêteté intellectuelle pour citer vos sources dans votre article 😉 ]
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