En complément de cet article, vous pouvez retrouver Cécilia Commo sur RTL dans l'émission consacrée à ce sujet - REPLAY RTL
Cette question récurrente traverse les âges et les cultures. Mais ne se pose-t’elle finalement pas avec beaucoup plus d’intérêt dès lors qu’on hésite à rester monogame ? Peu d'amoureux des premiers temps s'interrogent sur l’intérêt voire la nature de la monogamie : être en couple, être deux mais seuls au monde, perdus dans le regard de l'autre convient parfaitement aux amours naissantes. Il n'y pas de place pour une tiers personne dans une histoire débutante. Comme le racontent les poètes, l'état amoureux est profondément monogame, c'est ce qui fait sa splendeur et provoque tant de souffrance.
En revanche, et avec le temps, après quelques déceptions ou quelques revers amoureux, on se pose la question : n'être que deux, est-ce vraiment naturel ?
Au-delà des prises de positions partisanes, oui c'est inscrit dans l'histoire naturelle de l'espèce humaine ou non, c'est une création culturelle et/ou religieuse, il n’est simplement pas possible de « conclure » scientifiquement sur la nature de nos relations amoureuses ou sexuelles.
La plupart des réponses s'articulent autour d'observations actuelles (ethnologiques) ou tracées (archéologiques), sur des déductions (anthropologiques) souvent très argumentées ou, plus prosaïquement parfois, sur des croyances - ou des envies de croire - personnelles. En vérité, nous n'en savons rien. Nous ne pouvons que supposer.
Pour ma part, j'ai envie de croire que « oui » la monogamie est naturelle.
L'irrépressible envie de faire couple (et non pas trouple par exemple) ne semble pas n'être que le produit d'une norme culturelle, sociale ou religieuse mais aussi le fruit d’une inclination très humaine. Puisque cette question dépend donc essentiellement d’hypothèses – dues à notre impossibilité à connaître le contexte amoureux il y a plusieurs millions d’années – la légitimité d'un « oui » vaut certainement celle d'un « non » et permet toutes les spéculations comme les affrontements intellectuels.
Mais il s'agirait en premier lieu de définir le sens de cette question.
La monogamie signifie « être marié(e) à une seule personne à la fois » (pour être linguistiquement dans les clous, la monogamie signifie stricto sensu "avoir une seule épouse" tandis que la monoandrie signifie "avoir un seul époux") par opposition à la polygynie qui signifie « être marié(e) à plusieurs personnes, en même temps ». Par polygynie, s'entend la polygamie (un homme qui a plusieurs épouses) ou la polyandrie (une femme qui a plusieurs époux). Cette monogamie n'implique pas l'exclusivité sexuelle dans sa définition.
Faire couple semble très naturel dans l'histoire humaine. Même si les tenants du camps « non-naturel mais culturel » avancent comme argument massue que seulement 16% de la planète prescrit la monogamie et que 84% des cultures humaines autorisent la polygamie, il se trouve qu'en réalité seuls 5 à 10% des hommes des sociétés polygames épousent plus d'une femme à la fois. Comme le souligne l'anthropologue américaine Helen Fisher (1), on parle plus de polygamie qu'on ne la pratique !
Du côté des préhistoriens, on penche également pour la monogamie. Plus simple, plus pratique et plus écologique ! Nourrir ou veiller sur de multiples partenaires est très énergivore ! Sans parler des agitations sociales néfastes à la cohésion du groupe que représente la captation de plusieurs femmes par un seul homme…
Pourtant d’un point de vue strictement biologique, l’intérêt de la polygynie semble évident : pour disséminer allègrement ses gènes comme dans les cultures polygames (plusieurs femmes signifiant une descendance plus nombreuse) ou pour protéger sa progéniture comme dans les (rares) cultures polyandres. Chez les Ache, tribu du Paraguay, les femmes peuvent avoir plusieurs maris et amants. Chacun devient alors le père putatif d'enfants sans vraiment savoir lesquels sont génétiquement les siens. Avantage biologique certain pour les femmes Ache qui voient ainsi leur progéniture protégée et nourrie de toute part ! Comme dans les tribus Baris, près de 80% des enfants ayant plusieurs pères survivent plus longtemps que ceux n'en ayant qu'un seul (2).
Aussi manifeste sur un plan biologique et évolutionniste qu'il puisse paraître, l’appariement multi-partenaires au travers de la polygynie ne s’est pas imposé comme une norme à l'échelle de la planète (et ce, avant même que les religions monothéistes n’apparaissent puisque dans l’Egypte ancienne, alors même qu’avoir des concubines était autorisé, c’est à nouveau la monogamie qui fut la coutume la plus majoritairement adoptée). Et même si l’on retrouve un peu partout des modèles polygames, ils ne semblent pas être les reliquats d’un modèle originel.
Et Helen Fisher de conclure que "la monogamie semble être la stratégie fondamentale de reproduction des humains", la polygynie semblant n'être qu'une "exception opportuniste et occasionnelle"...
Car si la polygynie présente de sérieux arguments en terme de propagation génétique, la monogamie offre de son côté un modèle qui a su séduire : la famille, et c'est peut-être aussi la raison de son succès.
Mais c'est peut-être aussi ce qui explique sa particularité car, de tout temps et partout dans le monde, cette monogamie ressemble bien plus à un CDD qu’à un CDI (3) puisque les êtres humains vivent ce que l'on appelle une monogamie successive ou intermittente. Les veuvages, les divorces et les séparations font que nous expérimentons plusieurs couples au cours de notre vie. Une autre façon de propager son patrimoine génétique tout en assurant la préservation et la survie de sa descendance...
Au quotidien (au moins dans mon cabinet thérapeutique), la question de la naturalité de la monogamie n'intéresse donc pas tant que ça les individus car très vite ils comprennent les enjeux que suppose partager un mari ou une épouse entre plusieurs individus (enjeux émotionnels et pratiques) ou être le mari ou l'épouse de plusieurs personnes à la fois (enjeux financiers, pratiques et émotionnels). Ils préfèrent de loin être à deux quitte à changer de partenaires plusieurs fois.
En revanche, personne n'est dupe sur les enjeux érotico-sexuels d'une telle question. Dès lors nous voilà tous concernés et tous amenés à y réfléchir : la monogamie sexuelle est-elle naturelle ? Est-ce un artifice soutenu et encouragé par des mouvements religieux, sociaux, culturels pour dompter une nature humaine volage et indocile quand il s'agit de sexualité ? Sommes-nous assujettis à des règles sociales et morales (façonnées en partie par les religions) qui vont à l'encontre de notre nature ? Ou comme le prétend Laura Kipnis, la "fabrique matrimoniale" et sa fidélité conjugale n'auraient pour objectifs que la stabilité des sociétés et la cohésion du tissu social ?(4)
On essaie comme on peut de remonter loin dans le temps pour obtenir une réponse. Les hommes préhistoriques étaient-ils plutôt exclusifs sexuellement ? Versatiles et frivoles ? Polyamoureux ? Parlaient-ils de fidélité ? Étaient-ils jaloux ou tolérants ? Tant de mystères sur les premiers amoureux... Sans témoignages et surtout sans vestiges, les suppositions vont bon train ! En 2010, Christopher Ryan a fait sensation avec son livre "Sex at Dawn" expliquant de façon assez éloquente (on sent la conviction forte de l'auteur) que la mono-sexualité moderne était bien plus basée sur un endoctrinement moralisateur et religieux que sur des faits scientifiques (5). Et pour faits scientifiques, Christopher Ryan ne résiste pas à l'envie de s'engouffrer dans une brèche explicative maintes fois exploitée : observer la vie sexuelle de nos cousins simiesques et s'appuyer sur la primatologie pour remonter la piste sexuelle des premiers humains. Sans surprise, il constate que les chimpanzés et les bonobos, entretiennent ce que les biologistes appellent des relations sexuelles multifemmes/multimâles. Grâce à la primatologie nous serions à mêmes d'observer la vie sexuelle de nos ancêtres et il ne ferait aucun doute que ceux-ci n’avaient aucun penchant pour la monogamie sexuelle. C'est une déduction qui a du sens quand on observe nos fameux cousins, et la tentation est forte de penser que nos ancêtres arboricoles, il y a six millions d'années, n'étaient pas si différents. Mais un élément a très certainement changé la donne : nous avons découvert l'amour... Car une fois débout, il y a près de quatre millions d'années, il semblerait que notre cerveau ait eu accès à la chimie amoureuse, à savoir la passion et l'attachement amoureux.
L'observation des primates ne nous renseigne donc qu'à moitié (tout en nous renseignant beaucoup sur l'idéologie de ceux qui les observent !) : nous ne savons pas si ils tombent amoureux (à différencier de la préférence marquée et démonstrative pour certains partenaires ou des sentiments d’affection) et surtout ce que tomber amoureux signifie pour eux, comment le vivent-ils, que ressentent-ils ? Malheureusement, la littérature chez les bonobos ne nous éclaire pas sur la force de leurs sentiments et les tourments émotionnels que ces derniers déclenchent. Et puis, si nos déductions devaient exclusivement s'appuyer sur l'observation des primates devrait-on en conclure que le soin paternel est une pure construction culturelle puisqu'il n'existe absolument pas chez les chimpanzés ?
Plus proches historiquement (et plus humaines) on peut observer le devenir des communautés "peace and love" qui ont émergé durant les années 70 et prônaient la liberté sexuelle ainsi que l'absence de norme conjugale. Elles prospérèrent et firent de nombreux adeptes mais à l'échelle d'une région, d'un pays ou d'une planète, il est plutôt honnête de dire que ce modèle multipartenaires a fait... pschittt ! Même quand l'amour et la sexualité communautaires sont la norme (!) les hommes et les femmes ne peuvent s'empêcher de ... former un couple !
Donc posons clairement la question qui nous intéresse : l'exclusivité sexuelle est-elle naturelle ?
Il semblerait que la réponse soit oui, et cela peut en surprendre plus d’un (ou d’une). À titre observationnel il suffirait pourtant de demander aux amoureux fraîchement épris ce qu'ils ont dans la tête du matin au soir pour se rendre compte qu'ils ne pensent qu'à une chose : retrouver leur bien-aimé(e) et faire l'amour avec (et rarement avec quelqu’un d’autre). Mais soyons plus "scientifiques" et arrêtons-nous sur la fascinante étude génomique de Damien Labuda, professeur à la Faculté de Médecine de l'Université de Montréal (6). En utilisant les données génomiques d’individus issus de populations africaines, asiatiques et européennes, l’étude du Professeur Labuda nous apprend qu’après 100 000 ans de brassage génétique, il apparait qu’en Afrique on dénombre une moyenne de 1 homme pour 1,4 femmes, qu’en Europe ce sexe-ratio est de 1 homme pour 1,3 femmes et qu’en Asie il est de 1 homme pour 1,1 femmes.
Avec une proportion de 1,1 à 1,4 femmes pour 1 homme, on peut supposer que, dans de nombreuses sociétés, la tendance est nettement à la monogamie sexuelle, avec toutefois quelques entorses, comme le suggère le léger dépassement du 1 (ou comme le conclut Damian Labuda « L'homme moderne, l'Homo Sapiens, aurait donc été généralement monogame tout en montrant des tendances à la polygamie au cours de son histoire évolutive. Ces résultats sont en accord avec les études de psychologie évolutive et d'anthropologie décrivant les populations humaines contemporaines »).
Si nous étions naturellement frivoles et gourmands de relations extra-couples comme le prétendent certains, si nous n'étions que des monogames contraints par les règles sociales (même si en effet, normes sociales et dogmes religieux ont érigé la monogamie comme norme conjugale) comment expliquer que sur 100 000 années nous nous soyons si peu éparpillés (sexuellement parlant) ? Car soyez-en sûrs, l'interdiction de l'adultère n'empêche pas l'adultère !
Et si finalement les règles sociales (entérinant la monogamie comme seule possibilité) devenues la norme n'avaient fait qu'encadrer ou parfois corseter une tendance naturellement humaine, à savoir être deux ?
Mais alors, qu'en est-il de l'adultère ? Apparemment, il est naturel aussi !
Il n'est vraisemblablement pas seulement une réponse à une monogamie contrainte (puisque comme nous l'avons vu du côté de l'histoire et de la génétique, la monogamie semble vouloir exister par elle-même) : la transgression ne peut pas constituer une réponse unique.
"L'envie d'ailleurs" semble aussi naturelle que l'envie d'être à deux. Historiquement, les deux cohabitent au moins depuis 100 000 ans (cf l'étude de Damian Labuda). Géographiquement, la conclusion est identique : sur 42 études ethnographiques consacrées à différents peuples, urbains ou ruraux, riches ou pauvres, monothéistes ou panthéistes, modernes ou traditionnels, sévères sur la pluri-sexualité (même quand l'adultère est puni de mort) ou souples, tous ces peuples ont fait l'expérience de l'adultère (1).
Si l'amour romantique et l'attirance pour un unique partenaire semblent naturellement triomphants, il en est de même pour les charmes de l'extraconjugalité.
Comment deux envies en apparence contradictoires peuvent-elles se tenir la main depuis si longtemps (pour ne pas dire depuis toujours) ? C'est peut-être au sein des contradictions inhérentes au couple et à ceux qui le composent que se trouve la réponse. Nous tombons amoureux et concentrons tous nos efforts pour séduire une seule personne. Puis nous cherchons à stabiliser cette union au travers du réconfort et de l'intimité que procure une vie à deux (comparativement à une vie menée seuls) mais dans le même temps, nous continuons à nous enthousiasmer devant l'inhabituel et l'extra-ordinaire, source d'exaltation et de stimulation.
N'ayant jamais résolu ce paradoxe, le couple et l'extra-conjugalité se tournent autour depuis toujours et se rencontre souvent...
(1) Histoire naturelle de l'amour - Helen Fisher - Editions Robert Laffont – 1994
(2) Bio-anthropologie de la sexualité: Homosexualité et Hédonisme féminin – Pierre Bamony - Editions Edilivre – 2014
(3) CDD : Contrat à Durée Déterminée – CDI : Contrat à Durée Indéterminée
(4) Contre l'amour - Laura Kipnis - Editions de la Table Ronde - 2004
(5) Sex at Dawn : A Conversation with Christopher Ryan - Santa Barbara Independent Journal
(6) Female-to-Male Breeding Ratio in Modern Humans - an Analysis Based on Historical Recombinations – Damian Labuda and co - The American Journal of Human Genetics - 2010
[ Post-Scriptum : Si vous souhaitez utiliser une partie ou l’ensemble de cet article, vous me voyez flattée de votre intérêt.
En revanche, je compte sur votre élégance et votre honnêteté intellectuelle pour citer vos sources dans votre article 😉 ]
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