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Photo du rédacteur Cécilia Commo

Peut-On Supprimer Les Souvenirs Traumatisants ?

Lorsqu'un ballon gonflable éclate près de nous, nous sursautons. Si plusieurs ballons gonflables éclatent les uns après les autres, nous ne sursautons plus car nous savons que ce bruit n'est pas une menace, ce ne sont que des ballons qui éclatent. En fait, c'est à notre cortex préfrontal que nous devons de ne pas sursauter sans cesse : il analyse, traite et envoie les informations qui activent ou inhibent le sentiment de menace. 


Quand nous détectons un stimulus qui de prime abord paraît être une menace mais qu'ensuite nous comprenons que ça n'en est pas une, notre cortex préfrontal se charge d'inhiber notre amygdale ("pas d'affolement, c'est une fausse alerte !"). En effet l'amygdale, principal centre de régulation de la peur situé dans notre cerveau, s'active fortement lorsqu'une menace ou un stimulus potentiellement menaçant met en péril notre survie. Jusqu'à là, tout va bien car ce mécanisme est nécessaire voire crucial pour la survie d'une espèce.


Lorsque une menace réelle ou des stimuli potentiellement menaçants sont répétés, l'activité de l'amygdale ne diminue pas. Elle se maintient à un haut niveau d'activité pour mettre en garde et tenter de protéger l'intégrité de la personne. Ce haut niveau d'activité entraîne une formation et une fixation des souvenirs traumatiques dans la mémoire. Leur résorption n'est plus possible.

Les personnes atteintes de troubles de l'anxiété et de stress post-traumatique sont submergées par ces souvenirs traumatiques ou générateurs de stress de sorte que ce qui n'est pas menaçant l'est tout de même pour elles. 

Elles ont peur, de tout, tout le temps, et l'activité de leur amygdale est sans cesse stimulée par un cortex préfrontal qui ne remplit plus son rôle de modérateur, trieur de menaces.

Le cortex préfrontal d'une personne ayant vécu un certain temps dans un pays en guerre, sous les bombes et sous les tirs d'armes, n'interprètera pas l'éclatement des ballons comme le fera mon cortex préfrontal. Le souvenir formé et fixé d'une grave menace liée à ce type de bruit sera immédiatement accessible à son cortex qui réagira en activant fortement l'amygdale. Cette personne sera effrayée voire dans un état de stress épouvantable.

Et si l'ocytocine était la solution ?

L'ocytocine a été très médiatisée comme l'hormone de l'amour. Elle est impliquée dans l'attachement entre une mère et son bébé puisqu'elle est libérée en très grande quantité dans le corps de la mère lorsque celle-ci accouche. Son but est de faire en sorte que la mère s'attache et protège sa progéniture de sorte que la reproduction et donc la pérennité de l'espèce soient assurées.

On la retrouve également chez l'homme et chez la femme lorsque ceux-ci font l'amour (caresser et être caressé déclenche la production d'ocytocine).

L'ocytocine est à nouveau présente lorsqu'il s'agit de créer des liens sociaux et/ou familiaux (y compris avec ses animaux de compagnie !).

Dans le cas qui nous intéresse, un des effets majeurs de l'ocytocine, à savoir un effet anxiolytique (qui réduit l'anxiété), peut se révéler extrêmement bénéfique dans le traitement des troubles de l'anxiété et/ou du stress post-traumatique.


Monika Eckstein, psychologue à l'Université de Bonn, a procédé à une expérience très intéressante et très prometteuse. Cette étude, publiée en octobre 2014 dans le Biological Psychiatry, portait sur 62 sujets masculins, et avait pour intérêt d'observer de manière scientifique l'effet de l'ocytocine sur les souvenirs traumatisants.

Les participants ont tous été exposés à un conditionnement de type Pavlovien :

- Ils étaient exposés à des stimuli neutres (photos de visages et photos de maisons)

- Durant l'exposition à ces stimuli neutres, ils recevaient des chocs électriques.

Ces 62 sujets ont ensuite été répartis au hasard dans 2 groupes :

- Un groupe a reçu une dose d'ocytocine sous forme de spray nasal

- Un groupe a reçu une dose de placebo 


30 minutes plus tard, l'ensemble des sujets a été soumis à une IRM cérébrale couplée à une FET (Fear Extinction Therapy : thérapie utilisée chez les personnes pathologiquement anxieuses et les personnes traumatisées. Une des FET les plus connues est celle qui consiste à désensibiliser les gens qui ont peur des araignées. Graduellement, on les habitue à pouvoir supporter la présence d'une araignée, voire d'en tenir une dans leur main).


Cette fois, la FET consistait à présenter à nouveau les images neutres (souvenez-vous,  les photos de visages et les photos de maisons) sans aucun choc électrique.


Ces stimuli étaient donc totalement inoffensifs mais suite au conditionnement Pavlovien, ils devaient être détectés comme une menace (souvenez-vous, les choc électriques).


En observant l'IRM cérébrale de ces participants durant leur visionnage des photos neutres, on note que l'activité de l'amygdale du groupe ayant reçu une dose d'ocytocine a fortement baissée, tandis que celle de leur cortex préfrontal a augmenté (plus le cortex préfrontal inhibe l'amygdale, plus il s'active). 

Sur le plan physiologique, ce même groupe présente une diminution des signes extérieurs de peur (transpiration) contrairement au groupe placebo (chez qui les signes d'absence de menace sont plus faibles).


Ces résultats suggèrent bien qu'une seule dose d'ocytocine pourrait renforcer les résultats des thérapies destinées à supprimer l'anxiété pathologique ou le stress post-traumatique. Renforcer et non remplacer puisque l'effet anxiolytique d'une dose d'ocytocine ne dure que quelques minutes.


D'autres recherches portent, elles, sur "l'extinction" du gène BDNF (brain-derived neurotrophic factor). Ce gène, impliqué dans le développement des neurones, leur survie et leurs transmissions, joue un rôle dans la mémorisation des menaces ainsi que dans leur disparition.


Raoul Andero Gali, chercheur à l'Université Emory (Atlanta, USA), a démontré qu'un produit bloquant l'activité du gène Tac2 (autre gène dont on pense qu'il joue un rôle dans la disparition du sentiment de menace) réduit la fixation et le stockage des souvenirs traumatiques (certes, c'était chez la souris...).

Même si nous sommes très loin de pouvoir prescrire des antagonistes des protéines codées par les gènes BDNF et Tac2, en revanche combiner des doses d'ocytocine à des thérapies post-traumatiques semble être une vraie possibilité. C'est alors que des questions éthiques surgissent.


Pouvoir effacer les souvenirs déplaisants ?

Et si ce type de traitement était utilisé non pas pour "effacer" des souvenirs pathologiquement perturbants mais des souvenirs désagréables ou même (normalement) douloureux (rupture sentimentale, deuil...) ?



Il semblerait que malgré tous les traitements possibles et imaginables, cela soit (actuellement !) impossible. 

Joseph E. LeDoux, psychologue et professeur en sciences à l'Université de New-York, prévient que les souvenirs émotionnels ne peuvent être et ne sont jamais effacés. En réalité, ce que nous effaçons ce n'est pas le souvenir traumatisant mais le chemin mnémonique pour y accéder. Une autre stratégie consiste à l'enfouir derrière des souvenirs plus plaisants afin que ceux-ci jouent le rôle d'écran et freinent son accès. 

Monika Eckstein appuie également ce constat en précisant que ce que les nouveaux traitements pourraient apporter, c'est de compliquer encore un peu plus l'accès aux souvenirs traumatiques rangés quelque part au fond de notre mémoire. Ne plus y accéder et donc ne plus souffrir ?

C'est aussi une théorie que la psychanalyse défend farouchement, on l'appelle le refoulement. Mais son fonctionnement demeure aléatoire car si ce refoulement n'est pas total et complet, il saura se rappeler à notre mauvais souvenir...

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